samedi 14 mars 2009

« L’homme des hautes plaines » ou l’économie des biens publics par le western


J’ai revu récemment le premier western du grand Clint (en tant que réalisateur bien sûr), « High plains drifter » (1973), qui est aussi un de ses films les plus étranges, mais un des plus réussis (en dehors de l’inégalé « Josey Wales », dont je parlerai sans doute un jour). Dans cette histoire sur une thématique récurrente de ce genre (une ville en proie à une bande de malfaiteurs qui bafouent la loi, un ange exterminateur et une justice rétablie), Eastwood aborde des thèmes assez variés, parfois politiquement incorrects, comme l’oppression, la lâcheté collective (thèmes dont il est friand et repris souvent dans d’autres films, comme Impitoyable), et, last but not least,… le problème de la contribution individuelle au bien public !
L’histoire est en quelques mots la suivante : une ville est soumise à la loi de quelques outlaws sans foi ni loi qui ont assassiné le shérif sous les yeux coupables des notables et de la population entière, en le fouettant à mort en public. Arrive un mystérieux étranger (personnage récurrent de l’imaginaire leonien et eastwoodien) qui semble n’avoir peur de rien, et qui moyennant un marché avec la population va rétablir l’ordre. Néanmoins, en contrepartie, ils demandent aux notables de lui accorder tout ce qu’il demandera, ce qu’ils acceptent sans hésiter. Il fera repeindre la ville en rouge, la débaptisera pour la renommer « Hell » et fera du souffre-douleur local, un nain, le shérif et le maire de la ville. Les citoyens et les mêmes notables, de plus en plus écrasés par le poids de leur marché, tenteront de l’éliminer, sans succès. Puis l’étranger réglera le compte des quelques outlaws restant qui, incarcérés, reviennent se venger des habitants de la ville, puis mettra le feu à la ville. On comprend alors que l’étranger est sans doute le fantôme du shérif assassiné, encore que plusieurs interprétations sont possibles (dans la version française, il est fortement suggéré que l’étranger est le frère du shérif qui revient le venger).
Le film peut aussi être interprété (comme beaucoup de westerns), comme une allégorie sur le bien public. Ici, le bien public est la sécurité des habitants de la ville.
Une scène des plus intéressantes pour illustrer cela se passe entre l’Etranger et le prêtre de la ville, après que l’Etranger ait chassé les résidents de l’hôtel de la ville qu’il s’est approprié :
PREACHER: See here, you can't turn all these people out into the night. It is inhuman, brother. Inhuman!
STRANGER: I'm not your brother.
PREACHER: We are all brothers in the eyes of God.
STRANGER: All these people, are they your sisters and brothers?
PREACHER: They most certainly are.
STRANGER: Then you won't mind if they come over and stay at your place, will ya?
Mais en fait, tout le film tourne autour de ce problème de contribution individuelle au bien public.
Le problème le plus simple de la contribution au bien public (ici on peut considérer une technologie de production additive) peut s’écrire

Où Gi est le gain du citoyen i, D sa dotation en richesses, ci sa contribution au bien public (la sécurité de la ville), r1 le rendement unitaire de l’investissement privé et r2 le rendement unitaire de l’investissement dans le bien public
D’un point de vue théorique, tant que r2/n r1, la choix optimal est ci=D.
Plus personne ne veut contribuer à ce bien public depuis que le shérif a été assassiné, ie les habitants sont tous des passagers clandestins, ce qui aboutit à un niveau de bien public nul (r1>r2).
Mais le coût d’opportunité de la non production du bien public s’élève, ce qui peut s’interpréter comme le fait que le rendement du bien privé diminue puisque les outlaws font de la ville leur proprieté privée et exclusive. Donc r1 devenant inférieur à r2, il est optimal de rétablir en totalité le bien public, ce qui explique que les citoyens donnent « les pleins pouvoirs » (encore un film avec Eastwood) à l’Etranger. Le bien public est rétabli, et la collectivité a atteint l’optimum de Pareto. Toutefois l’Etranger veut punir les habitants de leur lâcheté, et devient de plus en plus exigeant. Le rendement du bien public que l’étranger produit s’abaisse puisque son comportement est de plus en plus  coûteux pour les citoyens. Les habitants, ayant de surcroit moins besoin du bien public à court terme (il n’y a plus d’outlaws dans l’immédiat, l’étranger les a expédié ad patres), même s’ils en ont besoin à long terme (la menace du retour des autres outlaws à l’issue de leur séjour en prison), le rendement du bien public s’abaisse. Ils sont dès lors de nouveau tentés par le comportement de passager clandestin : détruire le bien public, car ils sont non seulement opportunistes mais impatients, car ils pondèrent faiblement la valeur du bien public futur.
C’est bien sûr une vision purement économiste de ce film magnifique, un des chefs d’œuvre du western des années 70, et qui mérite d’autres lectures plus intéressantes sans doute.
Comme quoi on peut illustrer des phénomènes économiques par des films beaucoup plus sexy que « le sucre » de Jacques Rouffio, ou « Wall street » de Oliver Stone ! (c’est mon point de vue en tout cas)…. J’aime d’ailleurs l’idée selon laquelle un enseignant d’économie serait capable d’illustrer tout un cours de microéconomie par des films, idée sans doute saugrenue d’un cinéphile invétéré.


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