samedi 16 mai 2009

Calcul économique et tonte des pelouses



Les beaux jours étant de retour, au-delà du plaisir des journées allongées et des températures plus douces, vient pour l’apprenti-jardinier une corvée digne du supplice de Tantale, celle de la tonte de la pelouse de son jardin.
Or, comme j’ai la chance de vivre dans une maison avec un grand terrain, je suis donc frappé de cette malédiction pelousière.
Vous allez me dire que je ne suis pas obligé de tondre, et que la nature se régule d’elle-même, et que j’aurais même un superbe jardin à l’anglaise…
Certes, mais en Bretagne, vu le taux d’humidité, la douceur du climat et la vivacité des plantes, si vous ne tondez pas régulièrement, vous êtes contraint de vous déplacer à l’aide d’une machette dans votre jardin à l’issue de quelques semaines et de l’attaquer finalement au napalm au bout de quelques mois. Toutefois, je pourrai décider d’asphalter la totalité de ma surface de jardin pour étouffer à jamais cette engeance, ce qui soit dit en passant, me libérerait définitivement de cette corvée, mais ne ferait pas de moi un sympathisant crédible de Nicolas Hulot…
Comme je suis donc malheureusement dans l’obligation de pratiquer ce genre d’amusement, au cours d’une séance récente, et alors que je pestais contre cette maudite croix que je dois porter tous les quinze jours voire toutes les semaines au printemps - Qu’y a-t-il de plus ennuyeux que de tondre cette rogntdjuuu… (censuré) de pelouse, surtout quand elle ne vous a rien demandé ? -, je me suis fait cette réflexion que tout cela était parfaitement imbécile d’un point de vue économique. Je vais m’empresser de vous le démontrer.
D’un point de vue économique, il s’agit simplement de savoir s’il m’est utile personnellement mais également pour la société que je décapite régulièrement ces herbes rebelles qui empoisonnent mon paysage, tout cela au prix de courbatures répétées et moyennant également une probabilité non négligeable de finir cul de jatte ou manchot.
Sérieusement et objectivement, si on applique les principes de l’Analyse Coûts-Bénéfices (ACB) à un tel exercice, l’Etat et ses collectivités territoriales devraient interdire la tonte des pelouses ! Comme l’analyse Coûts Bénéfices est un outil que je connais un peu, je me propose d’ébaucher une application à la tonte de ma pelouse.
Je rappelle en deux mots le principe de l’ACB, qui est d’une simplicité digne du CM1, à savoir qu’une action quelconque est socialement désirable si la somme de ses coûts sociaux actualisés est inférieure à la somme de ses avantages sociaux actualisés, ie si le bien être de la collectivité s’accroît à l’issue de la réalisation de la dite action.
Le job de tout bon économiste qui applique l’ACB est donc de recenser de la manière exhaustive tous les impacts négatifs et positifs d’une action quelconque par rapport à une situation de référence, souvent le statu quo. La seconde étape est d’agréger tous ces impacts sous forme de coûts et de bénéfices monétarisés, afin d’en dégager une valeur économique de la variation de surplus collectif, positive ou négative afin d’en tirer une recommandation en termes de choix*.
Appliquons cela à l’action consistant à tondre ma pelouse.
Du côté des coûts, commençons par les coûts privés. Le coût d’achat de ma tondeuse est d’environ 400 euros il y a 2 ans. Pour simplifier, supposons que je suppose que l’ACB se fasse aujourd’hui, afin de savoir s’il est socialement désirable que je tonde ma pelouse. A raison d’une durée de vie supposée de 10 ans, le coût actualisé de ma tondeuse (le coût d’investissement) est donc de 400 euros en 2009. Sachant que chaque tonte implique un litre environ de SP 95 que je chiffre à 1.25€, et en supposant que je tonde environ 25 fois dans l’année, cela implique un coût du carburant de 31.25€ chaque année, soit un coût actualisé (le taux d’actualisation public en France est de 4%) de 253.47 euros. Si on ajoute le coût d’entretien (je vous fais grâce du coût d’amortissement qu’il faudrait considérer), en supposant une vidange annuelle d’environ 2 litres d’huile à environ 5€ le litre, cela donne de surcroît un coût actualisé de 81.11€.
Bon voilà pour les coûts privés monétaires. Mais nous sommes loin du compte ! Considérons maintenant le coût d’opportunité du temps perdu pour un enseignant-chercheur qui aurait sans doute des choses nettement plus intéressantes à faire. Je vais prendre la valeur tutélaire du temps « moyenne » proposée dans le rapport du Commissariat Général du Plan (2001) et dans l’instruction cadre de 2005, soit environ 10€ de l’heure en euros constants de 2009 (je passe sur les détails, c’est en fait plus compliqué que cela encore, mais bon…). A raison d’1.5 h 25 fois par an donne 37.5h par an. La valeur actualisée en euros de ce temps annuel sur 10 ans  est donc d’environ 3041.6 euros.
Voilà pour les coûts privés…
Mais bon, il y a maintenant les coûts externes, car cette damnée tondeuse pollue l’air et fait un bruit de tous les diables. En ce qui concerne la pollution de l’air, je ne vais considérer que l’effet de serre, et pas la pollution locale (les gentilles molécules répondant au doux nom de NoX, N2O, HC, et qui vous métastasent patiemment sur le long terme tout en vous donnant la capacité respiratoire d’une dorade hors de l’onde au bout d’une minute). En effet, je ne connais aucune étude épidémiologique sur les émissions locales des moteurs de tondeuse. Si des lecteurs-blogueurs sont spécialistes de cela (il faut de tout pour faire un monde), ils peuvent m’envoyer les références.
Sachant que la surface tondue de mon jardin fait environ 30m fois 50 m soit 1500 m2, que la tondeuse a une largeur de coupe de 65cm, et que l’âge du capitaine est de 56.5 ans, je parcoure par conséquent environ 47 fois en longueur mon terrain sur 50m, soit donc au total 2.35 km parcourus à chaque tonte.
Considérant que ce moteur émet environ 130 g de CO2 au km (petite cylindrée mais grosse pollution quand même), chaque tonte implique par conséquent 305g de CO2. Sur l’année, cela donne donc 25 fois 305g, soit 7.6 kgs de CO2 émis annuellement. Si je valorise ce CO2 à la valeur de la tonne de carbone proposée par le Conseil d’Analyse Stratégique récemment à hauteur de 32 euros la tonne en 2010 (voir Centre d’Analyse Stratégique (2008), La valeur tutélaire du carbone, rapport de la mission présidé par A. Quinet), cela donne environ 24 cts d’euros annuels de coût de l’effet de serre, et en valeur actualisée sur les 10 ans quasi pas grand-chose, en fait a peu près 2 euros.
[ Pardon, je reviens tout de suite, je vais prendre un cachet d’aspirine ou deux… ].
Pour le bruit, il faudrait considérer la dépréciation économique de la valeur de ma maison induite par ce bruit ponctuel (recommandation officielle). Pour éviter de me jeter par la fenêtre car je commence à être fatigué, je vais supposer que cette dépréciation de la valeur foncière de ma maison issue de ce bruit de tondeuse est nul. Par ailleurs, je n’arrose jamais ma pelouse, car pour la troisième fois, je suis dans une région où elle est arrosée naturellement sans problème, mais je devrais aussi considérer la raréfaction des ressources en eau si je vivais dans une autre région, tout comme le risque de subir une blessure légère ou grave, voir de passer de vie à trépas en étant aspiré sous cette infernale tondeuse, pondéré par la valeur du mort, du blessé grave ou léger donné par l’instruction cadre déjà citée…
Je vais m’en dispenser car je sens bien que ma patience (et sans doute la votre) est à bout.
Par conséquent, le coût social actualisé global de la tonte sur l’ensemble de la durée de vie de ma tondeuse est de 253.5 + 81.1+ 3041+2 = 3378 euros constants de 2009.
Et du côté des avantages ?
Ben, même en me triturant le reste de méninges qui me reste encore à l’issue de ce billet exténuant, je n’en vois aucun…
Vous me direz qu’il y a le plaisir de jardiner et que cela apporte une certaine utilité ! Celui qui me dit cela n’a jamais tondu en Bretagne, et je peux lui assurer qu’il n’y a absolument aucun plaisir à subir pendant 1h30 un niveau de bruit proche de 95Décibels A et des vibrations dans les avant-bras dignes des pires marteaux piqueurs.
Le seul avantage que je vois est un avantage privé, celui de la possible valeur de revente dans 10 ans de cette maudite tondeuse, quand j’en aurai vraiment assez, valeur estimée à 80 euros tout au plus, ce qui en valeur actualisée donne 54,05€.
A la limite, on pourrait considérer un avantage esthétique, qui serait chiffré monétairement à l’aide d’une approche de prix hédoniques qui me dirait de combien la valeur immobilière de ma maison est revalorisée par la présence d’une belle pelouse (économètres de tous les pays, unissez-vous pour nous faire savoir cela !). Sauf que ma pelouse, vu mon manque d’enthousiasme évident reflété par l’existence de ce billet, est tout sauf belle. Donc zéro, nada, que dalle de ce point de vue !
Pour en finir donc, le bilan économique est donc catastrophiquement mauvais, la valeur actualisée nette de la tonte de ma pelouse étant de + 54€ - 3378 = -3322 euros.
Je dégrade donc le bien être de la société de plus de 3000 euros en sortant ma tondeuse de manière récurrente !
Si on multiplie cette valeur par le nombre d’imbéciles qui font exactement la même chose que moi presque tous les samedis de temps clément que l’on nous prête, cela donne probablement quelques milliards d’euros gaspillés.
Je tiens enfin mon argument pour recouvrir mon terrain d’une épaisseur de béton armé tuant définitivement toute possibilité de vie végétale et animale sur mon terrain.
Du reste, je lance officiellement aujourd’hui un mouvement politique pour l’anéantissement total de toutes les pelouses du monde entier et pour la libération des pelouses injustement brimées périodiquement dans leur développement.
Ps : je viens de réaliser que si l’on fait également l’analyse coûts bénéfices de ce billet, le résultat est également très mauvais ! Uniquement des coûts, principalement pour moi (au moins deux aspirines comme coût privé) et éventuellement ceux à qui il donnera mal à la tête (réaction en chaine de consommation d’aspirine), et pas d’avantage économique évident. Donc dépêchez vous de le relire, car je le supprime dans quelques instants…
*  pour ceux qui voudraient plus de détails techniques sur cette méthode d’ACB, la plus répandue des méthodes d’évaluation en économie, voir sur mon site personnel les nombreuses ressources pédagogiques à ce propos, ici.

2 commentaires:

  1. Entre tondeurs de pelouse, on peut s'entraider ...
    http://co-eco.org/documents/pdf/tondeuse_propre.pdf

    ... tout en restant écologiquement correct ...

    http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2009/11/10/demain-la-tondeuse-aussi-sera-ecologique_1265284_3238.html

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  2. Et l'externalité négative pour votre petite personne et celle de votre famille de passer pour la grosse feignasse du coin ? Et l'externalité négative des plaintes possibles de vos voisins ? Et l'externalité négative de réseaux de voir vos amis ne plus vouloir venir chez vous ? Et l'externalité négative de réseaux pour vos enfants ne pouvant jouer dans votre jungle ? Et... Et le fait que tous ces coûts (pas d'avantages) proviennent d'un choix initial d'acheter une maison avec grand jardin plutôt qu'un appartement sans jardin ? Il me semble dès lors que vos avantages non monétaires dépassent largement vos coûts monétaires ?

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